Julien Falgas<p><strong>X, Facebook et Instagram menacent nos écosystèmes d’information : quelles alternatives ?</strong></p><p>Cet article est paru le 20 janvier 2025 <a href="https://theconversation.com/x-facebook-et-instagram-menacent-nos-ecosystemes-dinformation-quelles-alternatives-247399" rel="nofollow noopener noreferrer" target="_blank">sur The Conversation France</a> :</p><p><strong>Alors que Donald Trump, allié d’Elon Musk, le propriétaire du réseau X (ex-Twitter), s’installe à la Maison Blanche, l’inquiétude grandit concernant l’impact des grandes plates-formes américaines sur les dizaines de millions d’utilisateurs qui s’informent par leur intermédiaire. De nombreuses voix appellent à quitter ces plates-formes, mais quelles sont les alternatives ?</strong></p> <p><a href="https://observatory.informationdemocracy.org/" rel="nofollow noopener noreferrer" target="_blank">L’Observatoire international sur l’information et la démocratie</a>, pensé comme un « GIEC » de notre écosystème informationnel, a publié son <a href="https://observatory.informationdemocracy.org/report/information-ecosystem-and-troubled-democracy/" rel="nofollow noopener noreferrer" target="_blank">tout premier rapport</a>, ce 15 janvier. Ce rapport intervient alors que l’état de notre écosystème d’information et de communication semble s’effondrer sous nos yeux.</p><p>En France l’année 2024 aura été marquée par les <a href="https://reutersinstitute.politics.ox.ac.uk/digital-news-report/2024/france" rel="nofollow noopener noreferrer" target="_blank">acquisitions de médias par des milliardaires</a>. Aux USA, l’homme le <a href="https://www.forbes.fr/classements/classement-milliardaires-forbes-janvier-2025-qui-sont-les-dix-personnalites-les-plus-riches-au-monde/" rel="nofollow noopener noreferrer" target="_blank">plus riche du monde</a>) a engagé sa plate-forme X (ex-Twitter) au profit de la campagne de Donald Trump. Elon Musk en était déjà le <a href="https://www.francetvinfo.fr/internet/elon-musk/presidentielle-americaine-elon-musk-devient-le-plus-grand-donateur-politique-de-l-histoire-recente_6941480.html" rel="nofollow noopener noreferrer" target="_blank">premier donateur</a>.</p><p>Si rester sur X n’est plus une option, difficile de se résoudre à perdre des années de publications et de constitution d’une audience. Qu’à cela ne tienne : développée en partenariat avec le CNRS, la plate-forme <a href="https://HelloQuitteX.com" rel="nofollow noopener noreferrer" target="_blank">HelloQuitX</a> fournit tout le nécessaire pour migrer vers Mastodon ou Bluesky. <a href="https://iscpif.fr/chavalarias/?p=3642" rel="nofollow noopener noreferrer" target="_blank">Incarné dans les médias</a> par le directeur de recherche David Chavalarias, le collectif apolitique et transpartisan a fixé la date de l’exode au 20 janvier 2025, date de l’investiture du nouveau président des États-Unis.</p><p>Reste un <a href="https://theconversation.com/presenter-lia-comme-une-evidence-cest-empecher-de-reflechir-le-numerique-211766" rel="nofollow noopener noreferrer" target="_blank">impensé</a> de taille : est-il bien raisonnable de perpétuer une forme de communication modelée pour capter notre attention ?</p><p>À l’heure où Mark Zuckerberg emboîte le pas à Elon Musk pour aligner ses propres plates-formes (Facebook, Instagram, WhatsApp) avec les <a href="https://www.episodiqu.es/p/mark-zuckerberg-va-mettre-la-puissance" rel="nofollow noopener noreferrer" target="_blank">intérêts de l’administration Trump</a>, il est crucial de reconnaître que les grands réseaux sociaux américains ne peuvent continuer de jouer le rôle d’infrastructures de nos communications. Surtout, la prise de contrôle de ces médias au profit de politiques réactionnaires vient révéler au grand jour leur pouvoir de nuisance, documenté de longue date par la recherche.</p><p>Dès lors, pouvons-nous nous contenter de remplacer des réseaux devenus infréquentables, par d’autres qui en reproduisent les fonctionnalités ?</p><p><strong>L’oiseau Twitter cache la forêt des réseaux sociaux toxiques</strong></p><p>Né de l’hybridation du blog et de la messagerie instantanée, le microblogage consiste à publier de courts messages par le biais d’une plate-forme qui assure leur diffusion en temps réel et leur archivage. À l’image des dépêches de presse, les publications sont agrégées sous forme de flux destinés à une consultation continue. C’est le format retenu par l’ensemble des grands réseaux sociaux contemporains.</p><p><a href="https://larevuedesmedias.ina.fr/twitter-un-reseau-dinformation-social" rel="nofollow noopener noreferrer" target="_blank">En quelques années seulement</a>, le « tweet » est devenu un rouage incontournable de la circulation de notre information. Alors que les politiques ont saisi la possibilité de s’exprimer en direct, les journalistes y ont trouvé une source familière d’informations en accès immédiat. Les uns comme les autres en sont devenus <a href="https://larevuedesmedias.ina.fr/twitter-est-une-drogue-dure-pour-les-journalistes" rel="nofollow noopener noreferrer" target="_blank">dépendants</a>. À tel point que l’acquisition de Twitter par Elon Musk a révélé le cruel dilemme de journalistes tentés de <a href="https://larevuedesmedias.ina.fr/twitter-ou-mastodon-dilemme-journalistes-medias-debat-en-ligne-elon-musk" rel="nofollow noopener noreferrer" target="_blank">partir</a> mais bien en peine de sauter le pas. Quant aux politiques devenus dépendants de ce substitut aux communiqués de presse, ils semblent <a href="https://rapportsdeforce.fr/pouvoir-et-contre-pouvoir/les-politiques-rechignent-a-quitter-x-malgre-sa-toxicite-et-sa-promotion-de-lextreme-droite-011622960" rel="nofollow noopener noreferrer" target="_blank">rechigner</a> à montrer l’exemple.</p><p>Motivé par des enjeux de visibilité et de performance (nombre de followers, de republications et autres « engagements » mesurables), le microbloging incite à publier plusieurs fois par jour, pousse à jouer sur les émotions, entrave l’exposition d’analyses complexes et favorise le « clash ». Véritable technologie au service des « petites phrases », par ses contraintes Twitter aura <a href="https://politoscope.org/2024/07/3471/" rel="nofollow noopener noreferrer" target="_blank">renouvelé le discours politique</a> d’une bien triste manière. Comme le résumait Romain Badouard, <a href="https://fypeditions.com/le-desenchantement-de-linternet-rumeur-propagande-et-desinformation/" rel="nofollow noopener noreferrer" target="_blank">dès 2017</a>:</p><blockquote><p>« La forme l’emporte définitivement sur le fond et les spécificités techniques de la plate-forme ont fait naître un environnement d’échange à la fois simpliste, conflictuel et moralisateur. »</p></blockquote><span class="">Rejoindre HelloQuitteX en 3 minutes pour migrer de X vers Mastodon ou Bluesky.</span><p>La plate-forme alternative Bluesky a beau donner le sentiment de renouer avec le Twitter des origines, elle n’en porte pas moins l’ADN, tant dans sa forme fonctionnelle que dans son <a href="https://www.auposte.fr/bluesky-sous-le-ciel-bleu-de-largent-pas-bien-rose/" rel="nofollow noopener noreferrer" target="_blank">financement</a>. Plus vertueux, le réseau social open source <a href="https://joinmastodon.org/fr" rel="nofollow noopener noreferrer" target="_blank">Mastodon</a> s’appuie sur l’infrastructure distribuée du <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fediverse" rel="nofollow noopener noreferrer" target="_blank">Fediverse</a> qui le met à l’abri des obligations de croissance exponentielle propres aux start-up à l’américaine telles que Bluesky. Pourtant sur le plan fonctionnel, Mastodon demeure un service de microbloging inspiré du modèle de feu-Twitter.</p><p><strong>Les sept plaies des réseaux sociaux traditionnels</strong></p><p>Qu’il s’agisse de Twitter, Facebook ou Google, tout un pan de la recherche en sciences de l’information a démontré que le développement des grandes plates-formes du numérique a détérioré <a href="https://theconversation.com/les-20-ans-de-google-ami-ou-ennemi-de-la-culture-et-de-la-circulation-des-idees-85940" rel="nofollow noopener noreferrer" target="_blank">notre écosystème informationnel</a>. Le problème peut se traduire en 7 plaies (cf. infographie ci-dessous) qui s’articulent dans un véritable cercle vicieux. Celui-ci découle d’intérêts économiques évidents en matière de publicités à <a href="https://fr.linkedin.com/pulse/vers-l%C3%A9clatement-de-la-bulle-publicit%C3%A9-en-ligne-dominique-boullier" rel="nofollow noopener noreferrer" target="_blank">haute fréquence</a>, mais aussi d’enjeux d’influence comme en attestent les récents développements politiques aux USA.</p><p></p><p>Avant l’avènement des grands réseaux sociaux, c’est la domination de Google qui a marqué durablement le web. Pour qu’une page soit bien référencée, le fait d’être reliée à beaucoup d’autres pages web est devenu plus important que la qualité et à l’originalité de son contenu (<em>valorisation du lien hypertexte</em>). Il est désormais plus rentable de produire une information dupliquée et non vérifiée qu’une information originale. Voilà pourquoi nous sommes noyés par des informations de piètre qualité (<em>infobésité</em>), parmi lesquelles nous avons grand peine à distinguer le vrai du faux (fake news). Les <a href="https://knightcolumbia.org/content/understanding-social-media-recommendation-algorithms" rel="nofollow noopener noreferrer" target="_blank">algorithmes de recommandation</a> plébiscitent les contenus les plus sensationnels et les moins qualitatifs, tandis que la presse n’a plus les moyens d’<a href="https://shs.cairn.info/l-information-a-tout-prix--9782869382480" rel="nofollow noopener noreferrer" target="_blank">investir</a> dans la production d’une information originale et de qualité (<em>défiance envers les médias</em>). Notre entourage apparaît plus digne de confiance tandis que les réseaux sociaux amplifient cette tendance à s’informer auprès de personnes qui nous ressemblent (<em>bulles de filtre</em>). De plus en plus éloigné des points de vue différents, nous avons tendance à radicaliser nos positions et nos propos. Nos positions exacerbées deviennent inconciliables (<em>brutalisation</em>). Enfin, afin de maximiser les affichages publicitaires, les interfaces des plates-formes ont été peaufinées au fil des années pour capter et retenir l’attention. Ces pratiques entretiennent l’ensemble des six autres plaies pour constituer la septième (<em>addiction</em>).</p><p><strong>Régénérer notre écosystème informationnel</strong></p><p>Les plates-formes numériques n’auraient pas la forme que nous leur connaissons si elles n’étaient pas guidées par une course à la croissance exponentielle, la volonté de capturer notre attention et celle d’influencer nos comportements. Ce constat devrait nous décourager de compter sur d’hypothétiques géants européens du numérique inspirés par le modèle des géants américains : tout comme nos avions Airbus nuisent autant au climat que ceux de Boing, des « alternatives à » Twitter et Facebook ne sauveront pas l’écosystème informationnel.</p><p>Le 13 janvier 2025, l’équipe de Mastodon a <a href="https://blog.joinmastodon.org/2025/01/the-people-should-own-the-town-square/" rel="nofollow noopener noreferrer" target="_blank">annoncé</a> la décision de confier l’avenir de la plate-forme à une organisation à but non lucratif de droit européen. Pour son fondateur, Eugen Rochko, la start-up n’a jamais été qu’un véhicule temporaire à son projet, étant donné que l’espace public doit nous appartenir à toutes et tous. De fait, comme toute autre <a href="https://www.openscience.fr/La-production-des-innovations-sociales-une-analyse-par-le-modele-de-l-ecologie" rel="nofollow noopener noreferrer" target="_blank">innovation sociale</a>, l’émergence d’alternatives dans le domaine du numérique exigerait un environnement plus favorable aux structures de l’économie sociale et solidaire (coopératives, mutuelles, associations, fondations et entrepreneurs sociaux).</p><p>Mais les garanties éthiques ne suffisent pas : encore faut-il imaginer d’autres formes de médiation que celles instaurées par les plates-formes dominantes. Alors que la recherche académique en sciences humaines et sociales recèle des gisements d’innovation, nous n’avons pas les dotations nécessaires pour développer des logiciels et surtout pour les maintenir et les faire évoluer sur le long terme. Contraint très tôt de « sortir du labo », les projets sont poussés à déboucher sur une création d’entreprise avec une logique de rentabilité. Si j’en crois <a href="https://crem.univ-lorraine.fr/recherche/contrats-recherche/application-de-la-technologie-needle-dans-le-secteur-de-la-presse" rel="nofollow noopener noreferrer" target="_blank">mon expérience</a> fondée sur la création de <a href="https://needle.univ-lorraine.fr" rel="nofollow noopener noreferrer" target="_blank">Needle</a> (une <a href="https://hal.univ-lorraine.fr/hal-04816162" rel="nofollow noopener noreferrer" target="_blank">plate-forme de partage et de découverte</a> fondée sur l’intelligence collective), nos <a href="https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr/les-incubateurs-de-la-recherche-publique-47687" rel="nofollow noopener noreferrer" target="_blank">incubateurs</a> et l’ensemble du dispositif de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Valorisation_de_la_recherche" rel="nofollow noopener noreferrer" target="_blank">valorisation de la recherche</a> manquent d’outils pour accompagner des innovations sociales et la création de sociétés coopératives.</p><p>La prise en compte de notre <a href="https://theconversation.com/bonnes-resolutions-et-si-nous-assumions-notre-empreinte-numerique-109103" rel="nofollow noopener noreferrer" target="_blank">empreinte numérique</a> est balbutiante. Nous sommes loin de disposer de <a href="https://knightcolumbia.org/content/the-case-for-digital-public-infrastructure" rel="nofollow noopener noreferrer" target="_blank">médias numériques de service public</a> financés par un impôt sur les revenus de la publicité en ligne, tels que le proposait le chercheur Ethan Zuckermann en 2020. Pourtant, nous avons toutes et tous une responsabilité dans la <a href="https://theconversation.com/3-0-a-n-s-d-u-w-e-b-s-o-n-i-n-v-e-n-t-e-u-r-t-i-m-b-e-r-n-e-r-s-l-e-e-p-r-e-n-d-s-e-s-r-e-s-p-o-n-s-a-b-i-l-i-t-e-s-e-t-v-o-u-s-104353" rel="nofollow noopener noreferrer" target="_blank">réinvention du web</a> et pour explorer <a href="https://hal.univ-lorraine.fr/hal-03272216" rel="nofollow noopener noreferrer" target="_blank">d’autres formes de découverte et de partage de l’information</a> peut-être moins clinquantes, mais sans doute plus vertueuses.</p><p><em><a href="https://theconversation.com/profiles/julien-falgas-192852" rel="nofollow noopener noreferrer" target="_blank">Julien Falgas</a>, Maître de conférences au Centre de recherche sur les médiations, <a href="https://theconversation.com/institutions/universite-de-lorraine-2158" rel="nofollow noopener noreferrer" target="_blank">Université de Lorraine</a></em></p><p><em>Cet article est republié à partir de <a href="https://theconversation.com" rel="nofollow noopener noreferrer" target="_blank">The Conversation</a> sous licence Creative Commons. Lire l’<a href="https://theconversation.com/x-facebook-et-instagram-menacent-nos-ecosystemes-dinformation-quelles-alternatives-247399" rel="nofollow noopener noreferrer" target="_blank">article original</a>.</em></p><p></p><p><a rel="nofollow noopener noreferrer" class="hashtag u-tag u-category" href="https://julien.falgas.fr/tag/medias-numeriques/" target="_blank">#médiasNumériques</a> <a rel="nofollow noopener noreferrer" class="hashtag u-tag u-category" href="https://julien.falgas.fr/tag/modele-economique/" target="_blank">#modèleéconomique</a> <a rel="nofollow noopener noreferrer" class="hashtag u-tag u-category" href="https://julien.falgas.fr/tag/needle/" target="_blank">#needle</a> <a rel="nofollow noopener noreferrer" class="hashtag u-tag u-category" href="https://julien.falgas.fr/tag/reseaux-sociaux/" target="_blank">#réseauxSociaux</a> <a rel="nofollow noopener noreferrer" class="hashtag u-tag u-category" href="https://julien.falgas.fr/tag/web/" target="_blank">#web</a></p>