Crypto en 2023
https://www.didiermary.fr/crypto-2023/
Alors que j’organisais mes nombreuses notes et références pour ce billet « Crypto en 2023 » (qui au final sera réparti sur 4 billets au moins…), après m’être penché sur le « whataboutism » dans un billet précédent et sur une analyse de l’état général de la blockchain en 2023, voilà que l’actualité me rattrape avec les mésaventures (très sérieuses !) de Binance et Coinbase, entre autres. Je vais donc faire un tour d’horizon de l’écosystème cryptos à aujourd’hui, que je complèterai si besoin par des billets plus spécifiques.
Pour simplifier (TL;DR) : c’est la fin annoncée des cryptos… Pas une fin immédiate ou instantanée, non, non… une mort à petit feu, avec les soubresauts d’un écosystème à l’agonie, pendant que les projets Web3, DeFi ou DAOs se liquéfient petit à petit. La fin prochaine des grands exchanges, Binance et Coinbase, après FTX, qui permettent de manipuler, stimuler fictivement et simuler la capitalisation boursière (market cap), va laisser quelques petits joueurs entretenir le feu, dans les pays du « Sud », en Afrique en particulier, mais ils auront de plus en plus de mal à faire illusion.
Les gros joueurs, les anciens du poker et les mafias blanchisseuses d’argent, n’auront plus accès à leurs « casinos » préférés et le vrai argent ne rentrera ou sortira plus qu’avec très grandes difficultés, fautes de banques agissant en complicité (PS : ils trouveront autre chose, soyez en sûr !).
A force de jouer avec le feu, on finit par se brûler… Le ciel n’a pas fini de tomber sur la tête de certains, et ce sont surtout les « petits investisseurs », à qui l’on avait promis la liberté financière et plus encore, transformés en « bagholders« , qui en auront le plus pâti, comme à chaque fois, malheureusement…
La magie n’opère plus, faute de crédules en quantités suffisantes, alertés enfin par l’action des autorités de régulation. Le grand délire de la révolution « techno-financière » ne fait plus recette. Il est temps de passer à autre chose (PS : les VCs sont déjà à fond sur l’IA !).
Sommaire
Depuis l’explosion retentissante de Terra/Luna, suivie quelques mois plus tard par l’effondrement de FTX (EN), sans oublier Celsius, 3AC et j’en passe, les nombreux doutes sur le bien fondé ou non de laisser les cryptobros faire ce qu’ils veulent avec leur « innovation financière et/ou technologique » commencent à s’avérer de plus en plus judicieux. Et c’est sur le plan légal que les choses se gâtent majoritairement…
Si de nombreux pays, bien qu’ayant implicitement ou explicitement banni l’usage des actifs numériques, sont au final en mode laisser-faire, d’autres commencent sérieusement à soit légiférer pour encadrer leur usage global, soit vouloir appliquer les outils réglementaires dont ils disposent déjà.
Remarque importante : si vous étudiez le passé de nombreux fondateurs ou dirigeants de plateformes cryptos, exchanges et autres, y compris leurs avocats ou en charge des questions règlementaires liées à leur activité, vous découvrirez que beaucoup ont, à un moment donné de leur carrière, eu des activités en lien avec les sites de jeux en ligne, poker par exemple, ou les sites de paris sportifs, sans compter ceux qui ont directement été impliqués avec des mafias d’origines diverses.
Et c’est logique : 1 – l’appel des cryptos vers le public fonctionne majoritairement sur les mêmes ressorts psychologiques, 2 – il faut bien connaitre les rouages techniques et financiers pour mettre en place les fraudes prévues.
De nombreuses plateformes, comme les casinos du monde réel, servent soit au blanchiment d’argent, soit à des détournements de fonds divers (jeux truqués…). Les cryptobros en chef ont donc une connaissance profonde de tous ces mécanismes, et de comment les masquer, aussi longtemps que possible, vis-à-vis de l’extérieur.
Echecs et erreurs
Après presque 15 années d’existence, on est en droit de se poser la question de l’utilité des actifs numériques.
Il n’y en a absolument aucune, ni aujourd’hui, ni demain (it’s early! disent-ils…).
Voici une liste synthétique des échecs et erreurs les plus notables, sans même parler des externalités, impacts collatéraux par répercussion (externalities), qui ne sont plus à démontrer :
- Les cryptos ne peuvent pas fonctionner en tant qu’investissement parce qu’il n’y a aucune transparence de l’activité, aucun suivi réglementaire, aucune protection des consommateurs, ni assurance, un faible niveau d’autorisations légales d’exercer, souvent contournées (les lignes commencent à bouger un peu, avec de nouvelles réglementations récentes), et point important, pas d’exigences en matière de fonds propres.
L’écosystème global s’avère de plus n’être qu’un corps malade, tellement contaminé par toutes les manipulations de marché, les délits d’initiés et les fraudes en tous genres, que les investisseurs « normaux » n’ont aucune chance de s’en sortir, dès lors qu’ils mettent un doigt dans l’engrenage. - Les cryptomonnaies ne sont pas, et ne fonctionnent de toutes façons pas comme, des monnaies parce que leur prix est trop volatil, les frais trop élevés et variables, les taxes (que les utilisateurs sont éventuellement amenés à payer) très lourdes et les risques presque infinis. Comment peut-on les accepter comme moyen de paiement alors qu’une vente effectuée par ce moyen peut avoir perdu beaucoup de sa « valeur » dès le lendemain ?
- Les actifs numériques ne peuvent constituer une réserve de valeur, parce qu’ils n’ont ni valeur intrinsèque, ni d’usage. Cette propriété d’un actif permet de mesurer sa valeur réelle. Les cryptomonnaies ne représentent pas une valeur à conserver, mais uniquement un prix qui est basé sur la théorie du plus grand fou.
- Les cryptomonnaies échouent en tant que marché financier, car la fameuse « gigantesque » capitalisation boursière (market cap) tant vantée partout et sur tous les tons, ne connaît pas de réelles hausses (ou baisses). En fait, les méthodes et données, traditionnellement utilisées pour évaluer la capitalisation, sont confrontées dans le cadre des crypto-actifs à de multiples barrières : fausses transactions (manipulation de marché, dont wash trading), actifs comptabilisés plusieurs fois alors qu’ils ne font que circuler d’une plateforme à une autre par exemple, prise en compte de jetons perdus ou détruits, sans oublier toute une série d’autres informations volontairement erronées (truquées ?), qui sont malgré tout intégrées dans les chiffres pour les gonfler, voire pour justifier des opérations souvent illicites, ou au moins irrégulières.
[A lire sur ce sujet :
Why Crypto’s Market Cap Never Booms, or Busts, as Much as You Think – Cryptocurrency market-capitalization measures are distorted by misleading trades, double counting and lost coins – WSJ – 08/2022
Cryptocurrency « market caps » and notional value – Molly White – 07-2022] - Les actifs numériques ne permettent pas de lancer une grande révolution égalisatrice pour les personnes non- ou sous-bancarisées (under- & unbanked), parce que cette « solution techno-financière » ne peut résoudre (et ne résoudra jamais) les problèmes fondamentaux de l’inclusion financière et de la justice sociale (le sujet de discussion favori des maximalistes crypto, Bitcoin en particulier).
En fait, les cryptos sont tout le contraire : un exemple parfait d' »inclusion prédatrice » et de fraude par affinité, orchestrée sans vergogne pour duper les défavorisés et les désabusés du système en place.
Et c’est réellement dramatique : les victimes exploitées par les crypto-actifs sont malheureusement trop souvent celles qui n’ont pas les moyens de perdre ce qu’elles ont parfois difficilement acquis, puis « investi ». Malgré tout, afin de faire rentrer des liquidités dans la « lessiveuse », les communautés défavorisées et les classes mécontentes de leur sort sont spécifiquement ciblées sous les auspices d’un monde meilleur et d’un futur radieux, qui ne viendra jamais…
[A lire sur ce sujet :
Where Platform Capitalism and Racial Capitalism Meet – The Sociology of Race and Racism in the Digital Society – ASA – 10/2020
From El Salvador to South Africa, cryptocurrency evangelists are trying to persuade the world’s poor to use bitcoin. Not everyone is convinced they’re helping – Insider – 08/2022
Debunking the narratives about cryptocurrency and financial inclusion – Tonantzin Carmona – 10/2022]
Je reviendrai sur certains de ces points, en particulier le dernier sur l’inclusion prédatrice, dans des billets dédiés.
Bitcoin et les cryptos offrent aux désenchantés des perspectives d’enrichissement rapide et sans travail, couplées à une vision du monde toute-faite qui promeut une supposée émancipation plus globale.
Usbek & Rica, extrait du livre « No Crypto« de Nastasia Hadjadji
Securities vs commodities
Si vous suivez l’actualité américaine, vous avez beaucoup entendu parler de « securities » (titres ou actifs financiers) en opposition au terme « commodities » (matières premières ou marchandises) lors des débats sur les actifs numériques, dont Bitcoin.
Aux USA, les « securities » sont des instruments financiers, dont la régulation est principalement assurée par la SEC (Securities and Exchange Commission).
Globalement, ce sont des contrats d’investissement qui impliquent un placement d’argent ou de biens, dans une « entreprise », une activité commune, et où les profits sont générés par les seuls efforts de personnes autres que l’investisseur lui-même.
Une très grande part de l’industrie crypto ne souhaite pas que certains actifs numériques soient classifiés comme « securities« , au risque de se retrouver dans la juridiction de la SEC (ce que « Big Crypto » veut éviter à tout prix…).
Néanmoins, suite à ce qu’il vient de se passer avec les actions judiciaires contre Binance et Coinbase, un nombre croissant de cryptos parmi le top 100 a été clairement déclaré « securities » par le régulateur. Gensler a d’ailleurs signalé qu’il considérait déjà dans le passé que presque tous les crypto-actifs étaient des « securities« , à l’exception peut-être de BTC et ETH.
US securities law says that various things, including any « note, stock, … bond, debenture, evidence of indebtedness, certificate of interest or participation in any profit-sharing agreement, collateral-trust certificate, preorganization certificate or subscription, transferable share [or] investment contract, » are securities. « Investment contract » is the vaguest of those terms, so when the SEC argues that something weird and novel is a security, it usually argues that it’s an investment contract. And the Howey test says that an investment contract is « an investment of money in a common enterprise with profits to come solely from the efforts of others. »
Opinion by Matt Levine – Bloomberg – June 12, 2023
Le contexte de la loi est clair, mais les passionnés de cryptos préfèrent considérer qu’il y a un manque global de clarté réglementaire pour l’écosystème et c’est devenu le principal sujet de discussion, voire un cri de ralliement parmi ses défenseurs, y compris les avocats spécialisés FinTech.
Non-Conformité légale
Une chose est claire : les cryptobros et les dirigeants des grandes plateformes de cryptomonnaies (« Big Crypto ») ont décidé que l’environnement légal existant ne leur convenait pas et qu’il était absolument nécessaire que tout le monde les laisse fonctionner comme ils l’entendaient, au besoin en leur créant des législations sur mesure.
Le conflit qui oppose donc désormais les autorités de régulation, au moins aux USA, mais pas seulement, aux exchanges en particulier a pour origine cette déconnexion entre les lois existantes, parfaitement applicables, et la volonté des opérateurs cryptos au sens large de considérer que leur « innovation » nécessite des règles spécifiquement adaptées. Mais, c’est surtout un écran de fumée, pour masquer la (sinistre) réalité de cet écosystème.
Quelle est-elle ? Que le fameux écosystème crypto n’est qu’un gigantesque mille-feuille de sociétés-écrans, de prête-noms, d’une multitude de comptes bancaires ouverts partout sur la planète, de préférence dans les paradis fiscaux, sous des noms d’emprunt ou des sociétés fictives… et que l’on retrouve les mêmes personnes un peu partout dans ce réseau d’entreprises majoritairement offshore.
Cela permet à une poignée de dirigeants (SBF ou CZ par exemple) de créer de grands casinos hors de toute règlementation, où les investissements sont manipulés comme de faux jeux de hasard, où ils peuvent s’entendre les uns avec les autres, proposer du blanchiment d’argent sous forme « industrielle », tout en échappant aux sanctions et pratiquer en toute liberté les arbitrages qui les arrangent, autour de jetons fictifs sans valeur intrinsèque.
Les institutions de régulation ont fait la même erreur qu’avec les subprimes, qui ont déclenché la crise de 2008 : elles ont laissé faire, sans protéger le public du danger de produits financiers que personne ne voulait réellement comprendre.
Et au bout de 15 ans, « Big Crypto » ayant eu le temps de monter son mille-feuille et tisser de nombreux liens à tous les niveaux de la vie politique, financière ou mafieuse, se mettre en conformité est hors de question, car cela nécessiterait des changements drastiques, ni prévus, ni désirés.
Congress should stop trying to make crypto happen
"Republican proposal for new legislation would legitimise the digital asset industry and undermine investor protection"
"This kind of legislation would soon become outdated, because it is so closely tied to how the crypto industry and its underlying technology operate at this particular moment in time. Its complexity would also undoubtedly create many loopholes for the crypto industry to exploit."
https://www.ft.com/content/3c84c0f1-ade5-49d9-bd81-a844cafec86d
#Crypto #USA
— DJM (freelance for hire) (@cybeardjm) 2023-06-13T14:56:13.846Z
Voilà pourquoi le slogan principal de la crypto en 2023, comme pour les promoteurs de la technologie blockchain d’ailleurs, est « Innovation and regulation should be partners, not adversaries » (innovation et régulation devraient être partenaires, pas adversaires) : donnez-nous un environnement règlementaire que nous vous préparerons avec les députés et sénateurs que nous avons achetés, et laissez-nous profiter en paix de notre « innovation techno-financière » à base de MLM et Ponzi…
Remarque : si un exchange se met soudainement à limiter drastiquement les retraits et transferts de ses « utilisateurs », en particulier ceux qui n’ont pas encore prouvé leur identité (KYC), ou en demandant de plus en plus de preuves d’identification, c’est un signal d’alarme fort, pour indiquer un risque certain d’insolvabilité ou d’illiquidité (cf. plus bas).
Une règle de base est que tous les exchanges sont des entreprises criminelles d’une manière ou d’une autre. La seule question est quel est le réel niveau de fraude… Si vous avez de la chance, ils n’enfreignent que la réglementation.
Etat de la crypto en 2023
Les cryptos ont échoué sur tous les plans imaginables : technologique, idéologique, sociologique, psychologique, politique, éthique, et bien évidemment économique.
Les cryptos ont de fortes répercussions dans le présent.
Les cryptos ne sont que des jeux d’argent prédateurs.
Les cryptos ne sont pas des innovations.
Les cryptos n’ont pas de valeur.
Les cryptos n’ont pas d’avenir.
Même avant la débâcle FTX début novembre l’année dernière, l’état général des actifs numériques commençait à se dégrader sérieusement, avec les premières étapes du crypto-krach, suivi par une prise de conscience élargie par de multiples experts technologiques ou financiers, regroupés sous la dénomination (simplifiée) de crypto-sceptiques.
Aujourd’hui, le « crypto winter » continue et les « cryptomonnaies » demeurent un danger clair, voire omniprésent, pour les marchés financiers et le système économique global, sans parler de tous les petits épargnants (investisseurs ?) qui y perdent. On le voit avec l’écroulement en cascade d’acteurs divers et variés, que ce soient des exchanges, des market makers et maintenant des banques, directement impliquées ou non.
Pourquoi un risque global ? Tout simplement, car des entreprises cotées en bourse ont beaucoup misé sur Bitcoin, et quand les cryptos s’écroulent, leurs finances prennent un coup sérieux, et peuvent engendrer la mise en place de mesures drastiques, de la cessation de certaines activités à la banqueroute. Les pouvoirs publics suivent cela de très près, car ils veulent tout autant éviter la contamination générale et couper les branches pourries ou hors du champ purement légal, comme a commencé à le faire la SEC aux USA.
Ce à quoi on assiste désormais est la conjonction, à divers niveaux, de crises de confiance, de liquidité et aussi de solvabilité (ces 2 derniers concepts n’étant bien évidemment pas synonymes), qui peuvent générer des « ruées vers la banque » (bank run) à répétition.
Alors bien sûr, les crypto-maximalistes crieront sur tous les toits qu’il ne s’agit que de « crises de liquidité », que ce n’est que temporaire, que « manquer d’argent » cela peut arriver… En fait, ils tentent juste de faire croire à ceux qui le veulent bien, qu’ils ne sont pas responsables des pertes financières, qui ont pour origine leur bêtise, leur cupidité ou les crimes qu’ils ont commis.
Le plus souvent, ils ne sont pas à cours de liquidités, mais purement et simplement insolvables. Pour bien comprendre la différence, lisez cet article de Frances Coppola (EN).
D’ailleurs, la majorité des « cryptobros » ne connaissent absolument rien à l’histoire de la monnaie, et sont persuadés que tout a commencé avec l’or et l’argent… Ils n’ont aucune idée du fait que plus de 3000 ans avant, il y avait déjà des systèmes pour gérer les reconnaissances de dette, sur tablettes d’argile, avec de simples bâtons de bois, sans oublier la monnaie de pierre (qui n’est pas un ancêtre de Bitcoin !).
#Wikipedia – The French version of the Rai Stones article https://fr.wikipedia.org/wiki/Monnaie_de_pierre references them as ancestors to #Bitcoin (without any note or comment), where the English version doesn't use the word bitcoin at all, except in a footnote pointing to a PDF where the matter is discussed: http://financeandsociety.ed.ac.uk/ojs-images/financeandsociety/FS_Walton_EarlyView.pdf
"The analogy between Bitcoin and Yapese stone money is based on proposed commonalities that are inaccurate, ill-defined, and/or trivial."
FYI @molly0xfff
— DJM (freelance for hire) (@cybeardjm) 2023-03-12T22:17:45.310Z
Tout le cirque passé et présent des cryptos nous ramène à l’histoire de la finance et des monnaies privées, car les fous de Bitcoin et autres actifs numériques tentent depuis 2009, de revisiter l’histoire financière, et principalement ses erreurs et échecs aussi vite que possible.
Et s’ils s’imaginent que les mêmes manières de faire conduiront à des résultats différents, car cette fois-ci il s’agirait « d’innovation technologique » (?), ils se trompent lourdement. Les cryptos, dont Bitcoin, ne sont pas et ne seront jamais des monnaies dans notre monde réel !
Beaucoup de « crypto-entrepreneurs » ne comprennent rien au système financier existant et en fait, s’en moquent totalement.
Pourquoi ? Car, contrairement à leurs discours parfois enflammés, ils n’ont aucune intention de le remplacer avec leur écosystème crypto (la fameuse disruption vue ou subie dans d’autres domaines ces dernières années). Leur seul focus est de pouvoir faire du « pump & dump » à outrance, car « le prix doit monter vers la lune ! » (number go up – to the moon).
Construire un service ou un produit (ces dernières années les startups Fintech ont explosé partout sur la planète), c’est compliqué et ça prend du temps. Il faut monter un modèle économique, le tester, le confronter à la réalité…
Les crypto-entrepreneurs n’ont pas ce luxe et la majorité n’est de toute façon absolument pas là pour créer de la valeur (sauf pour eux-mêmes), même si l’on voit des appels au « Build! » fleurir régulièrement.
Et donc, ils bricolent des « solutions », et se lancent à la recherche d’investisseurs (qui se souvient de l’époque des ICOs en 2017…), pendant que des influenceurs rémunérés vont répéter sans relâche qu’ils vont libérer les populations sous-bancarisées, faciliter les transferts transfrontaliers et lutter contre les banques centrales « qui passent leur temps à imprimer des billets ».
Mais surtout ne demandez pas ce que cela signifie, car ils n’en savent absolument rien… Comme ils n’ont en plus jamais fait de virement international ou envoyé d’argent par un service de transfert (remittance) vers un pays du « grand Sud », il vous sera expliqué que les délais sont rédhibitoires (10 à 15 jours !) ou les frais gigantesques (au moins 10% !). Ce qui est bien sûr absolument faux.
Les plus futés savent très bien que le temps leur est compté, avant que les autorités de régulation ne les rattrapent. Ils prient juste tous les matins de continuer le plus longtemps possible à passer à travers les mailles du filet, tout en se remplissant les poches au plus vite. Ils savent très bien que leur système repose sur le faux-semblant et que les stupidités du style « mes jetons sont tous 100% décentralisés sur une blockchain, donc ils ne peuvent pas être considérés comme des actifs financiers ! » ne les sauveront pas indéfiniment.
Ils savent aussi que leur comptabilité inexistante (FTX a fait très fort à ce sujet), leur absence ou insuffisance de contrôles anti-blanchiment (AML) ou d’identification des clients (KYC), voire leur incompétence pure et simple, leur seront fatales, dès lors que la machine juridique se mettra en marche (mais ses rouages sont très lents…).
Ce qui est incroyable, c’est que le monde de la finance est réellement propice à la disruption : BaaS (Bank as a Service), Open-Banking et APIs, Embedded Banking, Mobile Money… Si l’on pose les bonnes questions aux autorités de régulation, elles ont plein de choses passionnantes à dire, à expliquer et sont prêtes à accompagner ceux qui cherchent vraiment à innover en leur fournissant les bonnes pistes ou des sandboxes pour tester.
Franchement, c’est beaucoup plus simple que de vouloir porter les chaînes d’approvisionnement sur une blockchain…
La vraie innovation financière est « facile » pour qui veut se donner la peine.
Il faut juste prendre le temps de comprendre comment ça fonctionne et d’évaluer des pistes d’amélioration ou d’optimisation.
Mais les crypto-entrepreneurs sont à la fois paresseux et avides d’argent, rapidement amassé qui plus est.
PS : les maximalistes crypto vous diront qu’ils comprennent très bien comment la « finance traditionnelle » fonctionne, mieux que le citoyen lambda en tout cas, mais qu’ils considèrent que ce n’est pas aux états et à leurs institutions de décider comment l’argent doit fonctionner, qu’ils considèrent corrompus.
Si l’on peut être 100% d’accord sur le fait de ne pas avoir confiance en ceux qui nous dirigent, le « pouvoir » politique et économique dans notre XXIème siècle, la manière dont ils entendent changer et gérer le système porte largement à discussion.
Conclusion
La crypto en 2023 ne sert toujours à rien.
Et pire, même dans un contexte illégal, elles ne sont pas le meilleur moyen pour transférer de l’argent. Si vous enfreignez la loi, avez-vous vraiment envie que vos transactions soient inscrites sur un grand livre immuable et public ? (Oui, il y a les mixeurs, la pseudo-anonymisation, etc. et ce n’est pas toujours aussi facile de suivre la trace des opérations malgré les outils qui existent désormais).
Et les fameux intermédiaires, qui devaient disparaitre définitivement grâce à cette « innovation techno-financière », ont été remplacés par de nouveaux qui sont des passages obligés pour convertir des jetons en vrai argent… chaque étape nécessitant de payer des frais, des risques de détournements potentiels et surtout de se faire démasquer (on le voit dans de nombreuses enquêtes, c’est souvent le travail d’investigation « à l’ancienne » qui permet de remonter vers les coupables, pas l’analyse des blockchains).
Concluons ce déjà long billet sur 2 points :
1 – la fameuse décentralisation, tant vantée comme la base du futur de la monnaie, n’est qu’un slogan, pour manipuler les gogos. Les cryptos finissent toujours par « recentraliser » la gouvernance sous une forme ou une autre, y compris Bitcoin.
Un exemple récent : les transactions des clients du service « Multichain » ont été suspendues, car les employés de la société ne pouvaient pas accéder aux serveurs pour les maintenir, le CEO ayant été arrêté par les forces de l’ordre.
Des « circonstances imprévisibles« , un cas de « force majeure », bien sûr.
Quand on pense que ces crypto-entrepreneurs se disent professionnels, imaginez si ces plateformes employaient des amateurs…
2 – l’argent des VCs fuit les entreprises crypto depuis le début de l’année : globalement les montants investis ont été divisés par un facteur d’au moins 5, par rapport à l’année dernière (si l’on considère que la tendance va continuer sur le reste de l’année).
Le « Crypto Winter » a de beaux jours devant lui…
Once-High-Flying #Crypto Funds Are Hardly Drawing Any Investor Attention
"Investors seen abandoning sector without plans to come back"
https://archive.ph/x0Msb (Bloomberg, PW removed)
— DJM (freelance for hire) (@cybeardjm) 2023-06-13T17:40:46.356Z
A suivre…
Voir aussi :
Humour
Réécoutons John Oliver sur HBO en 2018 : « Everything you don’t understand about money is combined with everything you don’t understand about computers. » Ne venez pas dire que vous n’aviez pas été prévenus…
[Remarque : la version qu’il a réalisée en 2023 est dans le prochain billet.]
https://www.youtube.com/watch?v=g6iDZspbRMg
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